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CEDEAO : une force en attente sans indépendance ni réforme

Alors que la CEDEAO multiplie les annonces sur la création d’une force militaire régionale, la réalité financière et politique de l’organisation trahit une profonde dépendance à l’aide étrangère. Plutôt que de vouloir construire une armée sous perfusion occidentale, la CEDEAO devrait engager une réforme en profondeur de son fonctionnement, de sa gouvernance et de son autonomie économique. Sans cela, toute ambition sécuritaire restera une façade sans fondement.

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Alors que l’Afrique de l’Ouest traverse une période d’instabilité sans précédent, la CEDEAO rêve d’une force militaire régionale capable de faire face aux défis sécuritaires. Mais derrière cette ambition militaire, une vérité dérangeante persiste : la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest dépend encore largement de l’aide étrangère pour fonctionner. Avant de vouloir construire une armée, la CEDEAO ne devrait-elle pas d’abord se réformer pour devenir réellement autonome et représentative des peuples ouest-africains ?

Une « force en attente » qui attend… des bailleurs

Lancée comme un projet de prestige censé incarner l’unité et la puissance régionale, la fameuse « force en attente » de la CEDEAO peine à voir le jour. Derrière les discours politiques, le nerf de la guerre — l’argent — fait défaut. Cette force, censée mobiliser plusieurs milliers d’hommes et du matériel de combat, repose en réalité sur des engagements flous, non contraignants et principalement théoriques.

Les États membres, déjà éprouvés par des crises budgétaires internes, n’ont pas la capacité de financer un outil militaire régional dont la finalité demeure ambiguë. En coulisses, c’est souvent vers Bruxelles, Washington ou Paris que se tournent les regards.


Une organisation sous perfusion occidentale

La dépendance de la CEDEAO ne se limite pas à l’aspect militaire. L’ensemble de ses mécanismes opérationnels, budgétaires, et même diplomatiques, est sous perfusion internationale. Le budget de fonctionnement de la CEDEAO repose en partie sur des contributions de partenaires techniques et financiers. Ses grandes conférences sont souvent sponsorisées par l’Union européenne. Son agenda sécuritaire, aligné sur les intérêts géopolitiques des puissances occidentales, révèle une tutelle masquée.

Or, peut-on parler d’union africaine crédible lorsque l’essentiel de ses actions dépend de fonds extérieurs ? À quoi bon construire une armée régionale si chaque opération nécessite l’aval — et les financements — de capitales étrangères ?

L’autonomie de décision commence par l’autonomie budgétaire. La CEDEAO en est encore très loin.


Une armée pour quoi faire ? Contre qui ?

La question de l’objectif militaire de la CEDEAO n’est pas neutre. Les récentes menaces d’intervention contre les régimes militaires du Mali, du Burkina Faso ou du Niger ont mis en lumière le vrai visage d’une CEDEAO instrumentalisée politiquement. Loin d’agir comme un mécanisme de protection des peuples, cette organisation semble parfois agir comme le bras armé des régimes pro-occidentaux et des intérêts géostratégiques extérieurs.

Faut-il rappeler que cette même CEDEAO est restée silencieuse face aux abus électoraux en Côte d’Ivoire, au Togo ou en Guinée-Bissau ? Pourtant, elle a été prompte à sanctionner les régimes militaires anti-impérialistes, tout en fermant les yeux sur les démocratures alliées à la France ou aux États-Unis.

Ce deux poids deux mesures affaiblit sa légitimité.


Une réforme en profondeur, pas une militarisation

Avant de parler d’armée, la CEDEAO devrait commencer par une introspection profonde. Ses institutions sont perçues comme déconnectées des réalités des peuples, opaques dans leur fonctionnement, et peu représentatives. Les citoyens ouest-africains n’ont aucun lien démocratique direct avec les organes décisionnels de la CEDEAO. Les élites qui dirigent l’organisation ne sont ni élues par les peuples ni redevables envers eux.

Il est donc absurde de vouloir militariser une structure qui n’a pas encore fait sa mue politique et économique. L’urgence est à la réforme, pas à l’expansion militaire. Il faut :

  • Instaurer une gouvernance transparente, avec des mécanismes de redevabilité ;
  • Créer un parlement régional fort et élu par les citoyens ;
  • Renforcer l’intégration économique réelle, en favorisant la production locale et la souveraineté monétaire ;
  • Mettre en place un système de financement propre, via des contributions équitables et des taxes régionales, pour sortir de l’assistanat international.

La souveraineté régionale, un mirage sans autonomie financière

Tant que la CEDEAO ne sera pas capable de se financer elle-même, toutes ses déclarations d’indépendance resteront symboliques. Il ne peut y avoir d’unité régionale forte sans moyens financiers indépendants, sans stratégie industrielle commune, sans vision économique décolonisée.

Construire une force militaire sans construire une base économique solide, c’est mettre la charrue avant les bœufs. Une armée ne remplace pas une stratégie de développement. Elle ne doit pas servir à compenser l’échec d’une gouvernance politique.


Une CEDEAO des peuples, pas des baïonnettes

L’Afrique de l’Ouest n’a pas besoin d’une armée régionale sous influence étrangère. Elle a besoin d’une CEDEAO réformée, transparente, indépendante et portée par les aspirations populaires. L’avenir de la région ne se joue pas dans les casernes, mais dans les réformes économiques, sociales et démocratiques profondes.

La sécurité régionale ne se construira pas sur la force militaire, mais sur la légitimité politique, la justice sociale, et l’autonomie stratégique.

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