Julius Nyerere, l’architecte discret du panafricanisme authentique
Nanou Fabrice 22 avril 2025
Tanzanie, années 60.
Tandis que l’Afrique post-coloniale cherche ses marques dans un monde encore polarisé par la Guerre froide, un homme, lettré et austère, s’impose par la clarté de sa pensée et la profondeur de son engagement. Julius Kambarage Nyerere, père fondateur de la Tanzanie et chantre d’une Afrique unie, n’a jamais brandi le panafricanisme comme un slogan : il l’a vécu comme une nécessité historique.
Une Afrique libre ne suffit pas, elle doit être unie
Pour Nyerere, l’indépendance politique n’avait de sens que si elle était suivie d’une intégration continentale. Il ne se contentait pas de dénoncer le colonialisme ; il anticipait déjà les dangers d’un morcellement hérité des frontières arbitraires imposées par les puissances européennes. « L’Afrique doit s’unir ou périr », répétait-il en écho à son frère idéologique, Kwame Nkrumah. Mais là où Nkrumah prônait une union immédiate et centralisée, Nyerere préférait une approche pragmatique : celle des fédérations régionales, des coopérations concrètes, posant pierre après pierre les fondations d’un édifice panafricain solide.

L’échec de la Fédération de l’Afrique de l’Est : un tournant silencieux
En 1964, Nyerere tente l’un des gestes politiques les plus ambitieux de l’époque : fusionner le Kenya, l’Ouganda et la Tanzanie en une seule entité. Mais les égos nationaux et les divergences idéologiques auront raison du projet. Ce revers marquera un tournant.
Une version panafricaine du socialisme.
Là où beaucoup copiaient les modèles soviétiques ou occidentaux, Nyerere invente le sien. Le socialisme africain, l’Ujamaa (qui signifie « famille élargie » en swahili), s’enracine dans les traditions communautaires africaines. Pour lui, l’individualisme capitaliste était aussi étranger à l’Afrique que le dogme marxiste. Son panafricanisme n’était donc pas seulement géopolitique : il était philosophique. Il reposait sur une vision de l’homme africain, solidaire, digne, maître de son destin, et non simple réceptacle de modèles venus d’ailleurs.
Un diplomate de la cause africaine

Discret, mais écouté, Nyerere fut un diplomate infatigable. Il soutint sans réserve les luttes de libération en Afrique australe : ANC en Afrique du Sud, FRELIMO au Mozambique, ZANU et ZAPU au Zimbabwe. Son pays, la Tanzanie, devint un sanctuaire pour les révolutionnaires. Il croyait que l’indépendance d’un seul pays africain n’était pas complète tant que l’ensemble du continent n’était pas libre.
Aujourd’hui, l’héritage de Julius Nyerere mérite d’être revisité. Il n’était pas un homme de slogans, mais un bâtisseur d’idées. Son rêve d’une Afrique unie, respectueuse de ses valeurs ancestrales et tournée vers l’émancipation collective, reste d’une brûlante actualité.
Si l’Afrique veut se réinventer sans trahir son âme, c’est peut-être dans les silences et les écrits de Nyerere qu’elle trouvera les clefs de son renouveau.


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Nanou Fabrice
Nanou Ange Fabrice est diplômé en communication politique et des organisations à l’Université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan. Passionné par les enjeux de gouvernance et de souveraineté en Afrique, il s’est imposé comme une voix incontournable dans le décryptage de l’actualité politique du continent.
Consultant en communication politique, il accompagne acteurs, institutions et organisations dans l’élaboration de stratégies de communication claires et efficaces. Mais le public le connaît aussi sous une autre facette : celle de chroniqueur politique sur Apprendre à oser – le média de l’Afrique qui ose.
À travers ses chroniques, Nanou Ange Fabrice s’attache à mettre en lumière les réalités politiques africaines avec un regard critique, pédagogique et engagé. Son écriture, à la fois accessible et documentée, cherche à donner aux lecteurs les clés de compréhension d’une actualité complexe, souvent marquée par des tensions géopolitiques, des défis institutionnels et des aspirations populaires à la souveraineté.
Fidèle à sa devise, « oser comprendre pour mieux agir », il place son travail au service d’une Afrique plus consciente de ses forces, plus confiante dans ses choix et plus audacieuse face aux défis mondiaux.
