Sortir du Franc CFA : la stratégie progressive des États de l’AES vers la souveraineté monétaire et militaire
Dans un contexte de bouleversements géopolitiques en Afrique de l’Ouest, Don Mello, vice-président de l’Alliance des BRICS Plus, livre une analyse percutante sur la stratégie de sortie du franc CFA engagée par les pays de l’Alliance des États du Sahel (AES). Dans cet entretien, il dévoile les étapes clés vers une souveraineté monétaire réelle, la reconstitution des réserves d’or, l’industrialisation progressive, ainsi que les partenariats stratégiques noués avec la Russie. À travers ses propos, c’est toute une vision panafricaine qui s’affirme, en rupture avec les logiques néocoloniales.

Don Mello, vice-président de l’Alliance des BRICS Plus, a récemment livré une analyse lucide sur la stratégie adoptée par les États membres de l’Alliance des États du Sahel (AES) pour sortir du système du franc CFA et se libérer du joug de la tutelle monétaire occidentale. Proche des cercles de décision de l’AES, il dévoile les contours d’un projet ambitieux de souveraineté intégrale, économique, monétaire et sécuritaire.
Reconstitution des réserves d’or : retour à la méthode de Mansa Moussa

Dans un premier temps, les États de l’AES (Burkina Faso, Mali, Niger) ont choisi de reconstituer leurs réserves d’or, à l’image de l’empereur Mansa Moussa dont la puissance reposait en grande partie sur ses ressources aurifères. Cette étape est jugée cruciale : l’or constitue un actif stratégique permettant de garantir la future monnaie commune, dont la création marquera le deuxième palier de leur libération.
« Ils ont révisé tous les accords de concession sur l’or et deviennent désormais majoritaires sur leurs propres ressources », affirme Don Mello.
Vers une monnaie souveraine capable de financer le développement
Une fois la base aurifère consolidée, l’AES pourra émettre sa propre monnaie. Cette monnaie souveraine sera conçue pour financer l’économie locale sans dépendance extérieure, à l’inverse du franc CFA. Elle permettra également de fixer des taux d’intérêt adaptés aux besoins de développement, et non imposés par une autorité extérieure comme c’est le cas avec la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO).
Industrialisation : vers une économie autonome et transformée
Les États de l’AES ont déjà amorcé une industrialisation progressive, en investissant dans les secteurs de substitution aux importations et de transformation locale des matières premières. L’objectif est de produire localement des biens finis à forte valeur ajoutée, tout en maîtrisant les chaînes de valeur.

Sécurité collective : une alliance militaire renforcée par la coopération avec la Russie
Sur le plan sécuritaire, l’AES a mutualisé ses forces de défense et de sécurité. Cette dynamique s’est accélérée avec la signature d’un partenariat stratégique avec la Russie, puissance militaire capable d’assister l’AES dans la création de ses propres industries de défense.
« Pour se défendre, il faut produire ses armes. Les accords de coopération passés ne nous ont jamais permis cela. Aujourd’hui, l’AES veut en finir avec cette dépendance. »
Un projet de confédération ouest-africaine en gestation
L’AES pourrait devenir le laboratoire d’une nouvelle architecture politique en Afrique de l’Ouest. L’idée d’une confédération des États de l’Afrique de l’Ouest, issue d’une rupture avec la CEDEAO actuelle, se dessine à travers cette démarche. Il s’agirait de passer d’une CEDEAO des États à une CEDEAO des peuples, fondée sur la déconcentration du pouvoir, la solidarité monétaire et l’intégration économique réelle.
S’inspirer de l’Asie : codéveloppement et circulation du capital
Don Mello souligne que l’Afrique pourrait s’inspirer du modèle de codéveloppement asiatique, notamment celui mis en œuvre par la Chine avec ses voisins (Vietnam, Cambodge, Corée du Sud…). La Chine a encouragé le transfert de capitaux vers ses partenaires, entraînant l’émergence des Tigres asiatiques.
Franc CFA : un mécanisme néocolonial au service de l’ancienne puissance coloniale
Le vice-président des BRICS + dénonce avec force les mécanismes pervers du franc CFA. Selon lui, ce système maintient les économies africaines dans une dépendance structurelle, avec une politique de crédit inaccessible pour les investisseurs locaux.
« Même avec un projet rentable, la banque exige 100 % de garanties. C’est un refus poli, car si vous aviez cet argent, vous n’auriez pas besoin d’un prêt », explique-t-il.
En revanche, un investisseur étranger, notamment européen, pourra obtenir un financement grâce aux taux très bas de sa propre banque nationale, le rendant plus compétitif que les Africains sur leur propre sol.
Parité fixe : un piège qui encourage la consommation au détriment de l’investissement
Le maintien d’une parité fixe avec l’euro confère un pouvoir d’achat artificiel aux élites locales, mais empêche tout investissement industriel à grande échelle. Le résultat est un marché dominé par les produits importés coûteux, une inflation non maîtrisée, et une absence de compétitivité des produits locaux.
Comparaison avec le Ghana et le Nigeria : la monnaie nationale comme levier de développement
À l’inverse, des pays comme le Ghana ou le Nigeria, disposant de leur propre monnaie, ont réussi à bâtir les fondations d’un développement industriel autonome. Ils peuvent ajuster leur politique monétaire selon leurs priorités nationales, un avantage que le système CFA refuse aux pays membres.
Le franc CFA, pilier d’un système hérité de la colonisation
Don Mello conclut en affirmant que le franc CFA n’est que la face monétaire d’un système de domination économique, conçu pour favoriser la métropole et entraver toute forme d’indépendance réelle.
« Le franc CFA, c’est la dernière chaîne de la colonisation. L’AES veut la briser, et par là, ouvrir la voie à une Afrique souveraine, unie et prospère. »
Conclusion : l’AES, point de départ d’une révolution panafricaine ?
Avec des actions concrètes dans les domaines de la défense, de la monnaie, de l’économie et de la diplomatie, l’AES pourrait bien devenir le moteur d’une renaissance africaine. En réécrivant les règles du jeu, ces pays remettent en cause un ordre mondial dominé par l’Occident, et s’affirment comme les précurseurs d’un panafricanisme d’action, centré sur la souveraineté et l’autodétermination.